Dénonciation de la traque des Hutus
Dénonciation de la traque des Hutus
Nous, détenus du TPIR et signataires de la présente, estimons nécessaire de réagir aux propos racistes et discriminatoires prononcés par plusieurs personnalités rwandaises, à l’occasion du 15e anniversaire du «génocide» rwandais, célébré sur le mont Nyanza, à Kigali, le 11 avril 2009. Le gouvernement rwandais affirme que cinq mille personnes enlevées de l’École technique officielle (ETO) de Kicukiro, le 11 avril 1994, y auraient été massacrées. Y ont pris la parole le ministre Charles Muligande, M. Simburudari, président de l’association Ibuka, regroupant les rescapés du génocide, l’adjointe du maire de la ville de Kigali et le Dr Augustin Iyamuremye, sénateur et ancien directeur du service des renseignements à la primature en 1994.
Les détenus du TPIR écrivent à Paul Kagame
12/5/2009
Selon le gouvernement Kagame, le monument commémoratif de Gisozi abriterait 250 000 crânes humains, alors que la population totale de la Préfecture de la ville de Kigali était d’environ 240 000 habitants, dont seulement 18 % étaient des Tutsis et que beaucoup ont survécu. D’où viennent tous ces crânes?
Le monument commémoratif de Gisozi, dans la Préfecture de la ville de Kigali
Monsieur Paul Kagame, Président de la République du Rwanda
Votre Excellence,
Nous, détenus du TPIR et signataires de la présente, estimons nécessaire de réagir aux propos racistes et discriminatoires prononcés par plusieurs personnalités rwandaises, à l’occasion du 15e anniversaire du «génocide» rwandais, célébré sur le mont Nyanza, à Kigali, le 11 avril 2009. Le gouvernement rwandais affirme que cinq mille personnes enlevées de l’École technique officielle (ETO) de Kicukiro, le 11 avril 1994, y auraient été massacrées. Y ont pris la parole le ministre Charles Muligande, M. Simburudari, président de l’association Ibuka, regroupant les rescapés du génocide, l’adjointe du maire de la ville de Kigali et le Dr Augustin Iyamuremye, sénateur et ancien directeur du service des renseignements à la primature en 1994.
Nous pensons que les propos tenus par ces diverses autorités ne tiennent nullement compte de la vérité ni de la réalité historique de notre pays, mais qu’ils ont pour but de terroriser, d’intimider, d’inférioriser ou d’humilier au moins une partie de la population rwandaise, les Hutus, globalement accusés d’avoir planifié et commis un «génocide» contre les Tutsis. Notre réaction est motivée par le fait que le régime du FPR veut effacer de l’histoire du Rwanda la période révolutionnaire qui a libéré le peuple rwandais du joug féodal et monarchique ainsi que la période de construction nationale après l’accession du pays à l’indépendance. Le but ultime du FPR est clairement de gommer de l’histoire du Rwanda, les bienfaits de la période républicaine pour mieux affermir les thèses mensongères selon lesquelles les Hutus n’auraient marqué l’histoire du pays que par la barbarie et le «génocide» des Tutsis. Il s’agit là d’une vision qui sème la division et que vous devriez abandonner dans l’intérêt du peuple rwandais.
Le Rwanda précolonial et colonial ne peut pas être un modèle à suivre
L’adjointe du maire de la ville de Kigali a déclaré: «Nous voulons changer l’histoire pour présenter un autre Rwanda qui n’est pas celui d’entre 1959 et 1994, un Rwanda comme il était avant; celui que nous avons hérité de nos ancêtres; le Rwanda des enfants de Rwandais qui vivent sans division, sans haine, sans discrimination». Ainsi, le régime FPR prétend que, dans le Rwanda précolonial et colonial, les ethnies qui composent la nation rwandaise vivaient harmonieusement dans la paix, la bonne entente et la solidarité. Il s’agit là d’une contre-vérité historique.1
Le régime féodal et monarchique rwandais n’est pas un modèle de société à proposer aux Rwandais d’aujourd’hui à cause des inégalités sociales, politiques, économiques et culturelles qui l’ont caractérisé et qui ont conduit à la Révolution sociale de 1959. Beaucoup d’auteurs, y compris des Tutsis éminents participant dans les hautes instances du pouvoir, en ont rendu compte.2
Nous pensons que, dans le cadre de la recherche des solutions durables pour notre pays, le FPR doit cesser la manipulation et la falsification de l’histoire du Rwanda. Nous croyons que le remède doit être recherché dans des compromis politiques démocratiques, dans le cadre du dialogue sincère entre le pouvoir et ses opposants. Une telle démarche ne peut pas s’accommoder de cette occultation du passé. Nous condamnons sans réserve toute tentative de réécrire l’histoire du Rwanda à des fins de propagande idéologique visant la monopolisation du pouvoir par le groupe ethnique tutsi à l’exclusion des autres composantes de la société rwandaise.
La planification de la guerre criminelle du FPR est la cause essentielle de la tragédie rwandaise
Le ministre Muligande a affirmé que le «génocide» des Tutsis a été planifié par le gouvernement déchu en juillet 1994, sans fournir la moindre preuve de cette planification. Tout simplement, il a déclaré que ce «génocide» a été enseigné pendant longtemps par le MDR/PARMEHUTU et plus tard, par le MRND. Pareille déclaration relève plutôt de la propagande spéculative. Les partis MDR et MRND n’ont jamais pratiqué le racisme ou la discrimination contre les Tutsis. Il est de notoriété publique que, sous le régime Habyarimana, du 5 juillet 1973 à la guerre d’octobre 1990, les Hutus et les Tutsis vivaient en symbiose. Les divisions ethniques entre 1990 et 1994 furent la conséquence de la stratégie déstabilisante du FPR pour rallier les Tutsis de l’intérieur à sa cause et s’attirer la sympathie de l’opinion internationale.
Après la Révolution sociale de 1959, de nombreux dignitaires tutsis qui n’acceptaient pas les changements démocratiques proclamés par le peuple, ont fui le pays et, pendant de longues années, ont systématiquement rejeté toutes les offres qui leur ont été faites par le gouvernement pour rentrer pacifiquement et participer à la construction de leur pays, au même titre que les autres Rwandais. Ils ont pris en otage les réfugiés tutsis et les ont empêchés de rentrer aussi longtemps qu’ils n’étaient pas assurés de reprendre le pouvoir et de l’exercer à leur profit. La diaspora tutsie dominée par ces extrémistes préféra s’organiser en un mouvement de «libération» dénommé «INYENZI»3 pour mener plusieurs attaques infructueuses contre le Rwanda dans les années 1960, afin de reprendre le pouvoir par les armes. C’est ainsi que tous les appels faits aux réfugiés pour leur retour pacifique dans le pays ont été vains.4
Le parti MRND a pratiqué une politique de paix, d’unité nationale et de progrès qui a énormément profité aux Tutsis du pays5. Il est faux et injuste d’accuser le MRND d’avoir persécuté les Tutsis de l’intérieur du pays ou d’avoir refusé aux réfugiés tutsis qui le souhaitaient de rentrer au Rwanda. Tout le monde sait aujourd’hui que c’est le FPR qui a torpillé l’accord signé entre le Rwanda et l’Ouganda sous la houlette du HCR, le 31 juillet 1990. Plutôt que de laisser la délégation des réfugiés attendue fin septembre 1990 à Kigali, dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord du 31 juillet 1990, le FPR a lancé son agression contre le Rwanda, le 1er octobre 1990.
Vous devriez avoir le courage de reconnaître que c’est cette guerre, lancée au moment où une solution politique au problème des réfugiés venait d’être trouvée, qui est à l’origine de la tragédie rwandaise. Le FPR a semé la désolation et a entretenu des divisions, un climat de terreur et de méfiance au sein de la population et des violences dans le pays. Par ses attentats terroristes et sa subversion, il a provoqué la déstabilisation totale du Rwanda.6 Le FPR a planifié et exécuté l’attentat du 6 avril 1994, qui a coûté la vie aux présidents Juvénal Habyarimana, du Rwanda, et Cyprien Ntaryamira, du Burundi, ainsi qu’à leurs suites respectives et aux membres de l’équipage français. Le FPR savait très bien que cet attentat allait provoquer des violences dans le pays. Directement après cet attentat, il a repris la guerre sur tous les fronts, précipitant ainsi le pays dans le chaos total. En définitive, c’est le FPR qui a planifié les malheurs du Rwanda. Ceci est attesté par l’incapacité du procureur du TPIR à prouver le plan de génocide devant cette juridiction internationale. En effet, toutes les lourdes condamnations pour génocide prononcées contre les accusés hutus devant le TPIR sont fondées sur le constat judiciaire du 16 juin 2006 établi par la Chambre d’appel.7 Au Rwanda, les tribunaux continuent à condamner en masse les Hutus pour avoir planifié le génocide sans la moindre preuve, tout en refusant le débat sur cette question.8
Malgré le constat judiciaire du génocide imposé par la Chambre d’appel du TPIR le 16 juin 2006, pour des raisons politiques et pour justifier les lourdes condamnations des accusés de ce tribunal, la controverse sur cette question se poursuit. Conscient de ses énormes responsabilités dans la tragédie rwandaise, le FPR ne rate aucune occasion pour dénoncer le «génocide des Tutsis». Ce n’est donc pas sans arrière-pensée que le ministre Muligande a déclaré, le 11 avril 1994, au monument commémoratif de Nyanza, à Kigali: «Nous avons eu la chance de gagner la guerre qui nous a permis de faire reconnaître le génocide. Sinon, nous serions comme des Arméniens dont le génocide est toujours contesté parce qu’ils ont perdu la guerre». M. Muligande est bien conscient des responsabilités qui pèsent sur le FPR, même s’il n’a pas le courage de l’avouer. Le FPR abuse de sa position actuelle pour imposer le «génocide» des Tutsis, en pratiquant notamment la justice du vainqueur sur le vaincu9. Les dirigeants du FPR devraient cesser de falsifier l’histoire par la propagande idéologique et avoir le courage de reconnaître leurs lourdes responsabilités dans le drame rwandais.
La réalité des chiffres de morts dans la tragédie rwandaise
La perte d’une vie humaine est toujours un malheur regrettable. Mais la réalité du nombre de personnes tuées dans le «génocide» rwandais demeure toujours un grand mystère 15 ans après la tragédie rwandaise. Même si l’opinion publique s’accorde sur le chiffre de 800 000 à un million de victimes, beaucoup d’autres chiffres sont avancés (entre 500 000 et 2 000 000) par les experts, l’ONU, les ONG et les représentants du FPR, à telle enseigne que la confusion est totale. Gérard Prunier reconnaît qu’il n’y a pas eu de décompte systématique, d’une manière ou d’une autre, et que tous les chiffres traduisent des opinions plutôt que des faits.10 Le gouvernement FPR préfère entretenir cette confusion qui lui est favorable. Voilà pourquoi il n’a pas voulu révéler les effectifs de survivants du «génocide» à partir desquels il serait facile d’évaluer le nombre de morts tutsis et hutus. Il entretient le flou pour que le monde ne sache pas l’ampleur des massacres commis contre les Hutus par le FPR et pour grossir démesurément le nombre de victimes tutsies. Il faut noter que le recensement général de la population et de l’habitat, terminé le 15 août 1991 et organisé sous la supervision des agences de l’ONU (PNUD, FNUAP, CEA), avec l’aide de nombreux pays (États-Unis, Canada), fixe la proportion de Tutsis dans le pays à 8,4 % sur une population totale de 7 099 844. Dès lors, les chiffres qui impliquent que toute la population tutsie aurait été massacrée entre avril et juillet 1994 sont tout simplement fantaisistes. Il n’est un secret pour personne que beaucoup de Tutsis ont survécu même si le gouvernement de Kigali ne veut pas publier leur nombre. Nous contestons donc ces chiffres qui entretiennent la confusion exploitée par le régime du FPR pour manipuler l’opinion nationale et internationale, à des fins idéologiques.
S’agissant des morts enterrés au mont Nyanza, à Kigali, le capitaine Lemaire, qui commandait le détachement belge basé à l’ETO de Kicukiro, en avril 1994, a déclaré devant le TPIR que les réfugiés venus là-bas étaient au nombre de 1 000 à 2 000 personnes11, ce qui est en deçà des cinq mille personnes prétendument conduites de l’ETO au mont Nyanza pour y être tuées, dans la soirée du 11 avril 1994. Dans les circonstances qui prévalaient, l’extermination de 5 000 personnes en quelques minutes, sur un terrain ouvert, est tout simplement une opération impossible. Par contre, des témoins dignes de foi affirment que la plupart des morts enterrés au mont Nyanza sont des milliers de fugitifs massacrés par les troupes FPR, les 22 et 23 mai 1994, pendant qu’ils tentaient de fuir le FPR après la capture de la garnison de Kanombe.
L’adjointe du maire de la ville de Kigali a présenté le monument commémoratif de Gisozi comme un haut lieu de pèlerinage et de souvenirs douloureux du «génocide». Ce lieu abrite, selon les déclarations des représentants du gouvernement, 250 000 crânes humains. Ils ne peuvent pas être originaires de la seule ancienne Préfecture de la ville de Kigali (PVK). En effet, la population totale de la PVK était, selon le recensement du 15 août 1991, de 221 806 personnes, dont 81,4 % de Hutus et 17,9 % de Tutsis. En faisant une extrapolation généreuse avec un taux d’accroissement moyen de 3,2 % par an, la population totale de la PVK oscillait autour de 240 000 habitants en 1994. La population tutsie de la PVK, cette année-là, peut être estimée à 50 000 personnes au grand maximum. Ce chiffre n’a donc aucun rapport avec celui des 250 000 crânes exposés au monument commémoratif de Gisozi, sans oublier que beaucoup de Tutsis de la PVK ont survécu. Cela devient encore plus incompréhensible lorsque l’on admet que la PVK abrite d’autres monuments commémoratifs, notamment ceux de Nyanza et de Rebero, où des milliers de restes humains sont exposés. Cet exemple montre combien la manipulation des chiffres est importante à l’échelle de tout le pays.
Plusieurs témoins ont déclaré devant le TPIR que Gisozi a été occupé par les troupes de l’APR à partir du 8 avril 1994. C’est donc le FPR qui a nettoyé les zones de Gisozi-Kagugu et Kabuye, en commune de Rutongo, dans la Préfecture de la ville de Kigali, de toutes les personnes indésirables, y compris les déplacés de guerre venus des camps de Nyacyonga et de Rusine, qui fuyaient vers la ville de Kigali. Plusieurs anciens membres du FPR ont dénoncé les massacres de milliers de personnes commis par le FPR dans cette région.12 Ces personnes ont été sommairement exécutées par des agents de la DMI dans le camp militaire de Kami, investi par le FPR à la mi-avril 1994. Ces massacres faisaient aussi partie du plan du FPR pour éliminer le plus grand nombre possible de cadres et d’intellectuels hutus. Aujourd’hui, c’est la même logique d’anéantissement de l’élite hutue que poursuit le FPR dans la confection et l’institutionnalisation de listes sauvages de prétendus «Hutus génocidaires», y compris des personnes déjà jugées et acquittées. C’est la même logique que l’on applique avec la fameuse loi sur les aveux de culpabilité, qui favorise la délation et les faux témoignages contre des innocents. Les procédures «gacaca» sont quasiment un système extrajudiciaire au-dessus de toutes les juridictions. Elles sont utilisées par le régime pour anéantir tous les indésirables. Nous voulons insister et vous rappeler que c’est vous-même, Monsieur le Président, qui avez été le premier à suggérer cette stratégie lorsqu’en 1996, à Nyamirambo, dans un grand rassemblement organisé par votre parti, vous avez averti qu’il suffisait d’avoir la patience nécessaire pour «vider un tonneau plein d’eau avec une cuillère à café»13. Les dégâts de votre politique génocidaire ont dépassé les bornes et nous vous demandons instamment d’y mettre fin.
Les responsabilités de la communauté internationale dans le drame rwandais
Dans leurs propos, les plus hautes autorités rwandaises ont critiqué le rôle de la Communauté internationale pendant le «génocide». Ainsi, dans votre discours du 7 avril 2009, vous avez fustigé l’attitude de l’ONU, qualifiée de «lâcheté» en disant: «Nous ne sommes pas de ceux qui ont abandonné les personnes qu’ils étaient venus protéger. Ils les ont laissés se faire tuer. Ne sont-ils pas coupables? Je pense aussi que c’est de la lâcheté. Ils sont partis avant qu’un seul coup de feu ne soit tiré!»
Nous sommes convaincus que de tels discours de chantage envers la communauté internationale ne pourront pas indéfiniment passer inaperçus. Cependant, nous invitons cette même communauté internationale à réagir vite, elle qui a encouragé et soutenu votre projet criminel de prendre le pouvoir par la force, à travers l’action funeste du général Roméo Dallaire à la tête de la MINUAR, auquel vous avez annoncé l’imminence d’un cataclysme le 2 avril 199414 et qui n’a rien fait pour l’arrêter, et à travers l’action non moins criminelle des procureurs successifs du TPIR d’Arusha, que vous avez réussi à soumettre à votre loi de la terreur.
Nous regrettons que l’ONU n’ait pas aidé les Rwandais à résoudre pacifiquement leur conflit en 1990-1994, notamment en faisant des pressions suffisantes sur l’Ouganda et le FPR et en condamnant la guerre d’agression dont le Rwanda était victime. L’ONU n’a pas non plus condamné les différentes violations, par le FPR, des cessez-le-feu et de l’accord de paix qu’il avait signés. La communauté internationale a obtempéré à votre ultimatum lancé le 12 avril 1994 aux forces étrangères de quitter le pays en 12 heures, ce qui a accéléré le retrait de la MINUAR du Rwanda au moment où il en avait le plus grand besoin.15 En votant la résolution lourde de conséquences de réduire les forces de la MINUAR, le 21 avril 1994, l’ONU a conforté votre organisation dans ses plans machiavéliques de prendre le pouvoir à Kigali le plus vite possible.16 L’ONU a trahi le gouvernement rwandais, qui lançait des appels angoissés afin qu’on stabilise la situation dans le pays. L’ONU a été paralysée par l’attitude des États-Unis et du Royaume-Uni. Elle n’a pas pu intervenir à temps et envoyer les 5 500 hommes de la MINUAR II, comme l’avait décidé le Conseil de sécurité de l’ONU. Ces forces sont arrivées au Rwanda après votre installation au pouvoir. Elles ont assisté sans réagir à vos massacres contre des innocents, dont celui des quatre mille réfugiés de Kibeho en avril 1995.
Non seulement nous accusons le FPR d’avoir chassé du Rwanda les forces internationales au moment où il en avait le plus grand besoin, mais aussi nous considérons que les décisions de l’ONU ont été très préjudiciables au peuple et au gouvernement rwandais, en permettant la victoire militaire du FPR acquise dans un véritable bain de sang. Ces mêmes décisions ont donné au FPR la légitimité pour continuer de massacrer des Rwandais et le droit de s’attribuer le mérite d’avoir mis fin au «génocide» et celui de juger ses propres victimes.
Nous constatons avec beaucoup de déception que la présence de la MINUAR II ne vous a pas empêché de poursuivre le massacre contre les populations hutues sans défense, sur la quasi-totalité du territoire rwandais, en 1994-1995, sans oublier le silence de l’ONU sur les atrocités innommables commises par vos troupes, lors de la destruction des camps de réfugiés dans l’Est de la RDC et tout au long de leur calvaire dans les forêts congolaises. Nous voulons vous rappeler les 200 000 réfugiés hutus qui furent atrocement massacrés par vos troupes en 1996-1997. Nous pensons que la complaisance persistante de la communauté internationale à votre égard ne vous exonère guère de vos responsabilités dans le drame rwandais. Nous réclamons la justice pour tous les Rwandais, Tutsis, Hutus et Twas, morts ou aujourd’hui traumatisés par votre politique criminelle.
La thèse du double génocide
Le ministre Muligande a vilipendé «ceux qui tentent d’amoindrir le génocide, de le nier, en inventant la thèse du “double génocide” à partir du constat qu’il y a eu des morts hutus pendant le génocide». Il a explicité sa pensée en se référant à la Seconde Guerre mondiale, où «il y eut le génocide des Juifs, mais également 20 millions de morts parmi les Russes. Cependant, le génocide reconnu a été commis contre des Juifs. Ce fut la même chose concernant le nombre élevé de morts parmi les soldats allemands, qui dépasse de loin le nombre de Juifs tués. Mais, les Allemands ont été tués pour mettre fin au génocide».
Ces propos de votre conseiller très écouté montrent que les dirigeants du FPR reconnaissent avoir massacré des centaines de milliers de Hutus innocents. Cependant, nous estimons que comparaison n’est pas raison et qu’en l’occurrence, les événements tragiques au Rwanda, entre 1990 et 1994, ne sont pas comparables à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. La responsabilité du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, appartient au gouvernement allemand, tout comme la responsabilité de l’invasion du Rwanda, en octobre 1990, à partir de l’Ouganda, appartient à l’État ougandais et au FPR. Hitler a déclenché son offensive pour conquérir des pays et, tout au long de cette conquête, des Juifs ont été dénoncés, arrêtés, tués ou déportés vers les camps de concentration, principalement en Allemagne. Les Juifs n’ont pas pris les armes contre l’Allemagne. C’est plutôt le FPR et ses alliés qui ont agressé le Rwanda et qui, dans leur folle guerre de conquête du pouvoir, ont massacré des centaines de milliers de Rwandais.
Vos troupes, Monsieur le Président, ont mené une guerre exterminatrice; elles ont violé les accords de cessez-le-feu conclus et l’accord de paix d’Arusha pour prendre le pouvoir par la force sans se soucier de la sécurité de la population. Pouvez-vous expliquer aux Rwandais pourquoi le FPR a obstinément refusé toutes les offres de cessez-le-feu entre avril et juillet 1994, s’il était vraiment soucieux de la protection des populations civiles? Et pourquoi a-t-il littéralement vidé de leurs populations toutes les régions conquises? Que dire alors des 4 000 réfugiés hutus massacrés par vos troupes à Kibeho en avril 1995? Ce sont là de tristes réalités que le régime du FPR veut dissimuler par l’usage abusif de l’accusation de «négationnisme» pour empêcher spécialement les parents des victimes d’exprimer leur souffrance et de dénoncer les injustices dont ils sont l’objet.
Le pardon et la réconciliation
Il se dégage du présent exposé que les membres du FPR ont commis des crimes et massacré des populations civiles sans défense pour le seul motif que c’étaient des Hutus.17 C’est cette triste réalité que le ministre Charles Muligande a voulu couvrir en affirmant que les Hutus devaient mourir parce que le FPR les combattait pour stopper le génocide. La coalition NRA/FPR/APR n’a pas agressé le Rwanda en octobre 1990 pour stopper le génocide. La chasse à l’homme menée par le FPR contre des paysans rwandais, tout au long de sa guerre, n’était pas destinée à stopper le «génocide» des Tutsis. Il est illusoire de chercher à nier la responsabilité du FPR dans la mort des centaines de milliers de victimes au Rwanda et en RDC ou à l’atténuer, en vous arrogeant le droit d’inquisition, du seul fait de votre victoire militaire. Nous pensons qu’avec une telle logique, la réconciliation nationale est impossible. Car, vous voulez occulter la vérité sur les événements tragiques qui ont endeuillé le Rwanda et qui impliquent vos proches collaborateurs, civils et militaires. Aussi, nous estimons que le moment est venu pour votre régime de regarder la réalité en face, au lieu de poursuivre votre propagande idéologique indécente, dès lors qu’elle exploite honteusement les malheurs que vous avez infligés au peuple rwandais.
La dérive de votre régime a irrémédiablement éloigné le peuple rwandais de l’objectif de réconciliation nationale, en dehors des artifices que vous vous plaisez à servir aux différents visiteurs du Rwanda mais qui ne peuvent pas, malheureusement, guérir le mal qui est beaucoup plus profond. L’instrumentalisation de la persécution contre les Hutus accusés «d’idéologie génocidaire» constitue la voie privilégiée pour criminaliser tous les Hutus à jamais; non pas seulement ceux qui étaient en vie en 1994, mais aussi tous ceux qui naîtront à l’avenir. Il suffira d’accuser les Hutus d’idéologie génocidaire pour les opprimer et justifier cette oppression devant le monde. Cette politique qui a déjà fait de l’immense majorité des Rwandais des parias de la société rwandaise est inacceptable parce qu’elle est devenue un facteur d’exclusion et de marginalisation des Hutus, pour entretenir la domination des Tutsis.
Le dialogue entre le pouvoir et ses opposants est la seule voie pour sortir de l’impasse actuelle. Mais, après avoir décrété que seuls les Tutsis ont été victimes de la guerre que vous avez déclenchée et que les Hutus n’ont même pas le droit de pleurer leurs morts ou, encore moins, de les enterrer dans la dignité, vous n’envisagez manifestement pas un dialogue politique avec vos opposants. Votre position est contraire à la dynamique de la paix que prônent les dirigeants des autres pays de la région: Kenya, Burundi, RDC, Ouganda, Centrafrique. Vous avez instauré les juridictions «gacaca», qui ont reçu le mandat de culpabiliser tous les Hutus, de les pousser à l’auto-incrimination et à la délation, afin de permettre à votre régime de se débarrasser, pour toujours, de ses adversaires politiques actuels ou futurs! Pareil système n’augure rien de bon et présente toutes les caractéristiques du fascisme. Il est porteur de malheurs pour vous-même et pour le peuple rwandais. C’est pourquoi nous vous conseillons respectueusement d’y mettre fin.
Le Rwanda doit faire face à de nombreux défis. Le régime du FPR ne pourra pas les résoudre par l’humiliation, l’anathème et la marginalisation de la majorité de la population rwandaise, à laquelle il réserve seulement des traitements injustes et dégradants. C’est pourquoi nous encourageons tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, au Rwanda et dans le monde entier, de tout mettre en œuvre pour faciliter un dialogue sincère et constructif entre le pouvoir et ses opposants, afin de jeter les bases solides d’une réconciliation nationale véritable au Rwanda, fondée sur la vérité, la justice et l’équité. Nous invitons le gouvernement rwandais à considérer qu’il n’y aura pas de réconciliation nationale au Rwanda tant qu’il y aura de la manipulation, de la propagande mensongère, de l’humiliation, de l’infériorisation et de l’intimidation. Il n’y aura pas de réconciliation tant qu’on accusera des gens à tort et à travers de véhiculer une idéologie génocidaire. Cette accusation est un outil politique destiné à faire taire les Hutus qui réclament le respect de leurs droits.
Aucune puissance, aucune force étrangère ne pourra résoudre les problèmes politiques des Rwandais. Ce sont les Rwandais eux-mêmes qui doivent les résoudre. En tant que chef de l’État rwandais, il est de votre entière responsabilité d’amener les Rwandais à retrouver la voie de la réconciliation véritable, en dénonçant les comportements et les discours provocateurs qui sèment la division, comme les discours prononcés lors des cérémonies du 15e anniversaire du «génocide» par vos proches collaborateurs. En tout état de cause, vous devez comprendre que de tels discours ne servent pas votre régime, dès lors qu’ils sont contraires aux intérêts vitaux du peuple rwandais et qu’ils ne sont pas de nature à favoriser la paix et la réconciliation nationale.
Il ne pourra y avoir de réconciliation nationale aussi longtemps que le FPR continuera de refuser de reconnaître sa responsabilité évidente dans la tragédie rwandaise et de rendre les Hutus responsables d’un drame que le FPR a planifié et exécuté tout au long de sa guerre de 1990-1994, et particulièrement en avril 1994.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.
Callixte Kalimanzira
Edouard Karemera
Augustin Ndindiliyimana
Joseph Nzirorera
Tharcisse Renzaho
Innocent Sagahutu
Éphrem Setako
1 Beaucoup d’historiens, dont des Tutsis comme Alexis Kagame, ont écrit sur le Rwanda avant et pendant la période coloniale.
2 Dans la Revue nouvelle, tome XXVIII, no 12, décembre 1958, pp. 594-597, l’Abbé Bushayija, un prêtre tutsi qui siégeait au Conseil supérieur du pays, a dénoncé les injustices et les inégalités sociales de l’époque en ces termes: «Le sentiment d’injustice que ressentirent, à un moment donné, les plébéiens romains vis-à-vis des patriciens, les serfs vis-à-vis des seigneurs dans l’ancien régime, est celui qu’éprouvent aujourd’hui les Bahutu par rapport aux Batutsi. Ils cherchent leur émancipation, leur accession à un monde libre et égal pour tous.»
3 Journal Kanguka, no 52, 1992. Dans une entrevue rapportée par ce Journal, Aloys Ngurumbe, ancien chef Inyenzi, explique l’origine de ce nom. Il déclare qu’il s’agit d’un nom de guerre que se sont donné les terroristes tutsis des années 1960-1967. Il explique que c’est un acronyme qui signifie Ingangurarugo yiyemeje kuba ingenzi.
4 Mgr André Perraudin. Un évêque au Rwanda , Éditions Saint-Augustin, 2003, pp. 276-277.
5 Valens Kajeguhakwa. De la terre de paix à la terre de sang et après, Éditions Rémi Perrin, 2001.
6 Beaucoup de témoins crédibles, y compris des membres du FPR, confirment les activités terroristes et subversives menées à l’intérieur du Rwanda par le FPR tout au long de la guerre.
7 Cette décision prise par la Chambre d’appel le 16 juin 2006, pour conforter la stratégie de fin de mandat du TPIR, reste contestable et contestée.
8 L’acquittement des accusés, pour le crime d’entente en vue de commettre un génocide, prononcé par la Chambre de première instance du TPIR dans le procès des militaires I, le 18 décembre 2008, acquittement au sujet duquel le procureur n’a pas interjeté appel, a provoqué un tollé de protestations au Rwanda. Certains responsables du FPR se sont agités en disant que c’était comme si on voulait leur faire porter la responsabilité d’avoir planifié le génocide. Cette agitation est justifiée dans la mesure où ils savent l’ampleur de leur responsabilité.
9 Carla Del Ponte (ancienne procureure du TPIR). Confronting with Humanity’s Worst Criminals and the Culture of Impunity, Other Press, New York, 2009, pp. 177-192 et 223-241.
10 Cérard Prunier. Rwanda, 1959-1996. Histoire d’un génocide, Paris, Éditions Dagorno, 1997, pp. 316-317.
11 Transcription du 30 septembre 1997, pp. 61, 110, et 146-147. Il faut noter que ces réfugiés comprenaient des Tutsis et des Hutus.
12 Toutes ces preuves existent dans les archives du TPIR comme par exemple dans le document côté R0000230 du 09/02/2002.
13 E. Ndahayo. Rwanda — Les dessous des cartes, L’Harmattan, Paris 2002, p 157.
14 Roméo Dallaire. J’ai serré la main du diable, Random House Canada, 2003, p. 279.
15 Voir le Rapport de renseignement belge no 940412/305 du 12 avril 1994.
16 Ibid.
17 Voir par exemple le dossier établi par le Juge Espagnol Andreu Fernando Merelles et de nombreux témoignages et rapports disponibles dans les archives du TPIR.
TPIR: Tribunal pénal international pour le Rwanda, établi à Arusha, en Tanzanie
La lettre ci-contre est une version légèrement retravaillée, strictement au plan linguistique, de la lettre envoyée par les signataires à Paul Kagame ainsi qu’au président du Conseil de sécurité de l’ONU, au secrétaire général de l’ONU, aux chefs d’État du Kenya, de la Tanzanie, du Nigéria, de la Libye, de l’Ouganda, de la RDC, du Burundi et de l’Afrique du Sud. La lettre a aussi été envoyée au président, au procureur et au greffier du TPIR, à diverses ONG, aux médias et à divers autres destinataires.